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lundi 4 février 2013

Prison de plâtre

Pris entre ses murs, il espère...

C’est en tombant dans la vieille cage d’escalier étroite et sombre qu’Éric comprit qu’il venait encore de se faire balancer aux poubelles. Julie l’avait jeté de la même façon que Sarah, Marie-Lune, Audrey, Carolane et toutes les autres qui préféraient n’importe quelle autre queue à la sienne. Il devait retourner sur le banc des éternels incompris pour rêver à ses amours imaginaires.

En rentrant tête la première dans la porte de son appartement en vieux plâtre, il avait compris qu’il devait encore tout recommencer à zéro. Ce n’était pas demain la veille qu’il trouverait un lit chaud, un repas pour deux, une fille toute nue qui se lèverait le matin avec les cheveux en bataille et qui insisterait pour lui piquer son vieux chandail troué des Rolling Stones pour aller pisser.

Il avait pensé à Julie toute la journée. Dès son réveil, elle s’était déjà installée dans le coin de son oeil. Elle s’était assise là en s’étirant comme une chatte câline un peu comme la fois où elle avait accepté rapidement de lui faire l’amour sur son divan-lit trop petit entre les coups de vent glacial de janvier qui entraient doucement par les pores de sa fenêtre mal isolée. Il avait insisté pour qu’elle reste avec lui jusqu’au lendemain matin, mais elle lui avait répondu qu’elle préférait rester dans la clandestinité. Cette nuit-là, elle lui avait fait un clin d’oeil en replaçant sa jupe dans la cage d’escalier avant de filer entre les marches pour rejoindre la ruelle la plus proche. Éric avait suivi la danse de ses bottes rouges aussi longtemps que l’obscurité lui permettait de reconnaître les courbes de son déhanchement. Le lendemain, il était surpris de voir qu’il avait dormi avec un oreiller serré entre ses bras. Les effluves félines de Julie y étaient encore imprégnées et un simple reniflement lui laissa un sourire béat.

Pendant qu’il grignotait son lunch entre deux piles de papier qui encombraient sa guérite, Éric se voyait déjà l’emporter dans ses bras pour une chasse à l’alliance dans le champ de marguerites en arrière du chalet de ses parents. Elle lui ferait de beaux enfants, ça c’était certain. Ses manières un peu garçonnes compléteraient magnifiquement ses entreprises distinguées et le tout produirait des enfants d’une saveur plus qu’originale. Ils pourraient être bien dans un joli bungalow de banlieue (après tout, il ne regrettait rien de son enfance banlieusarde). Il l’amènerait dans un parc différent tous les dimanches et l’été, ils s’embrasseraient sur les sièges d’un théâtre d’été.

À la fin de son quart de travail, il était décidé. Il irait sonner à l’appartement de Julie pour lui laisser entrevoir la lueur de ses plans. Pendant tout le trajet de retour, ils regardaient les couples heureux qui entraient et sortaient de l’autobus pour se dire que ça serait bientôt son tour. Il n’avait jamais été aussi près du but. Il débarqua au coin de Saint-Germain et Ontario. Le trottoir se dérobait sous ses pieds tellement il souhaitait arriver le plus rapidement possible devant le 2204.

Il chantait des chansons d’amour à voix basse en rêvant aux plis de la jupe de Julie pendant que le ding dong raisonnait entre le souffle glacé de sa bouche et l’intérieur silencieux de l’appartement de sa bien-aimée. Julie arriva plusieurs secondes plus tard en boutonnant une vieille chemise qu’elle semblait avoir mise un peu trop rapidement. Une cigarette dernièrement allumée pendait au coin de sa bouche. Son mascara datait de la vieille. Ses cheveux formaient un ouragan roux au-dessus de sa tête.

Éric? Quessé que tu fais ici? T’étais pas supposé être occupé à soir?
 
Ouais, ben oui, ben oui. Mais j’avais vraiment le goût de te voir, maintenant, à soir.

Il s’avançait pour entrer dans l’appartement de Julie, mais un regard interrogateur et inquiet de cette dernière le convainc de ne pas poursuivre sa démarche. Julie se tourna rapidement vers l’entrée de sa chambre et ferma brusquement la porte. Une forte odeur de hasch se faufila à l’extérieur.

Ok, entre. Mais fais pas trop de bruit. Y’a ma coloc Cindy qui dort.


Éric posa furtivement ses mains sur les hanches de Julie et voulu l’embrasser langoureusement. La principale intéressée esquiva la tentative amoureuse et elle n’était pas du tout d’humeur à jouer aux princesses de salon. Elle poussa dans la cuisine, tout au fond de l’appartement. De la vaisselle sale traînait un peu partout et un chat léchait distraitement le fond d’un bol de lait sur le dessus d’une vieille télévision poussiéreuse. L’éclairage était blafard et une odeur de beurre rance ornait les murs jaunâtres. Éric s’installa sur la seule chaise fonctionnelle tandis que Julie sombrait dans le creux d’un vieux divan fleuri en s’allumant une deuxième cigarette. Il retrouvait son sourire béat du matin.

Et puis ma belle Julie, comme s’est passée ta journée?

Éric, pourquoi tu débarques comme ça chez nous? Pourquoi t’appelles pas? Tsé, j’aime pas vraiment ça que tu commences ces genres d’affaires-là... Me semble que c’était clair la dernière fois qu’on s’est vu qu’on embarquait pas dans ces niaiseries-là?


Éric décrocha son sourire et tourna sa tête vers le sol. Une tuile du plancher était sur le point de se décoller complètement. Il ne s’attendait pas à une demande en mariage, mais il était loin de se douter qu’il rencontrerait aussi rapidement un mur.

Julie... mais, je pensais... je sais pas... après la dernière soirée qu’on avait passé ensemble.. je me disais....

De quoi tu parles? La p’tite baise rapide chez toi? Tu t’attendais à quoi? Un souper au restaurant, le coup de la caresse au cinéma, des fleurs pis toute? Tu me prends pour quoi? Une nunuche du 450? Écoute-moi bien parce que j’vais pas faire traîner les choses en longueur. Des baises, j’en ai eu des dizaines d’autres pis c’est ben correct comme ça. Disons que c’est ben l’fun pour finir une soirée. C’est toute. Si fallait que je sorte avec toute les gars avec qui j’ai couché, je serais ben prise jusqu’à 102 ans. Moé, je veux juste avoir du fun, je veux pas que ça soit compliqué. Si c’est que tu veux toi avec, fine on peut ben s’revoir une fois de temps en temps. Mais si tu veux plusse, ça serait peut-être mieux qu’on finisse ça là.


Elle s’alluma une troisième cigarette qu’elle fuma frénétiquement en envoyant des cercles de fumée en peu partout dans les airs. Éric ne savait plus quoi dire. Tous ses plans disparaissaient au même rythme que les rejets de la cigarette de Julie. L’air devenait de plus en plus lourd et il sentait qu’il devait au moins se défendre un minimum pour ne pas passer pour le gars qui est trop habitué à se faire revirer de bord.

Écoute Julie. Je pense bien que j’ai de vrais sentiments pour toi. T’es pas comme les autres, pis moi non plus je le suis pas. Me semble qu’on pourrait étendre le plaisir. Me semble qu’on se complète bien. Je te demande pas de me dire oui pour la vie, mais juste d’essayer un peu. Je suis certaine que tu passes à côté de quelque chose. On pourrait sortir d’Hochelaga pis vivre sans colocs. Le lit serait un peu moins frette aussi.

Elle avait presque le fou rire. Elle ne savait vraiment pas pourquoi elle avait accepté l’invitation à sortir de ce grand fluet aux airs niais... C’est vrai qu’il avait un certain charme quand elle l’avait vu réciter quelques répliques de Camus sur la scène d’un petit bar du Plateau. Mais elle avait rien à foutre de son discours de prince charmant quand elle pouvait se payer le luxe de l’inattendu soir après soir. Elle jeta un coup d’oeil dans le couloir pour voir si tout se passait bien près de sa chambre. Maïcha fumait des plombs en l’attendant. Elle devait faire des dessins abstraits avec ses encres de chine qui ornaient sa table à dessin. Julie pensait surtout à sa petite chatte brune et parfumée qui devait s’humidifier au contact des effluves dorées.

Sérieux Éric, je pense vraiment que tu te trompes de modèle de fille. Tu veux vraiment savoir la vérité? La chose dont j’ai le moins envie maintenant, c’est de m’encabaner dans un couple. J’ai pas pentoute envie de rendre des comptes à quelqu’un, pas envie d’me coller, pas envie de me justifier pour toute ce que je fais. Pis tu veux que je t’en dise une autre? En ce moment, y’a vraiment la plus belle des salopes qui m’attend dans ma chambre pis quand t’as sonné, tu nous as comme interrompues. Faque, à moins que t’aies vraiment quelque chose d’important à me dire, j’te demanderais de me laisser tranquille. Pis la prochaine fois qui te prends des envies de romantisme, t’iras cogner à une autre porte.

Je comprends tellement pas Julie, j’ai vraiment l’impression d‘être dans un cauchemar. Tu comprends tellement pas que t’es en train de passer à côté de quelque chose.

Bon, ça va faire mon beau. Des gars à genoux j’en ai vu plus que tu penses. Là en ce moment, c’est d’un pain que j’ai envie pis pas d’une saucisse. J’espère que tu comprends le message.


Éric se déplia péniblement de sa chaise. Il sortit la mine plus basse que la station Préfontaine. En fermant la porte, il entendit des rires féminins entremêlés d’une musique techno assourdissante. La fenêtre laissait entrevoir des ombres qui dansaient lascivement. Il se traîna lamentablement jusqu’à son appartement où la cage d’escalier lui rappela la profondeur de sa meurtrissure. Il laissa tomber son manteau à même le sol. Cette douleur supplémentaire ne lui semblait pas nécessaire et il souhaitait décharger un peu de haine sur n’importe qui. Il cogna furieusement à la porte de chambre de son colocataire. Sa blonde ouvrit distraitement la porte. Il avait l’impression de la déranger.

C’est parce qu’une lumière éteinte dans la cage d’escalier avec une porte mal fermée, c’est vraiment un mauvais combo. J’ai failli me péter la gueule en entrant dans l’appartement.

Ah bon.


Elle s’en foutait éperdument. Il pouvait se fendre la tête avec une chainshaw qu’elle ne serait pas surprise. Il s’écroula sur son lit pendant que son ordinateur s’ouvrait. Des nouveaux messages apparaissaient dans sa boîte courriel, son Facebook voulait faire du bruit, mais en glissant ses doigts sur son cellulaire, le nom de Mélissa lui vint en tête. Il avait bien flirté avec elle une fois ou deux, mais elle s’était rapidement casée avec un futur businessman. La position théâtrale d’Éric ne l’avait jamais rassurée. Il composa tout de même le numéro se disant qu’il n’y avait pas vraiment d’autres choses à faire.

Mélissa! C’est Éric, quoi de neuf?

Éric! Ça fait des lunes! Pas grand-chose, toi ça va?

Ouais, pas si pire, disons. Je pourrais m’être cassé une jambe...

Euh, qu’est-ce qui se passe?

Je t’avais parlé de Julie? Tsé, la belle fille que j’avais rencontrée après ma pratique de Camus il y a deux semaines?

Ben Éric, ça doit faire six mois qu’on s’est pas parlé...

Ah! C’était vraiment une belle fille intéressante qui avait beaucoup de charisme...

Et qu’est-ce qui est arrivé?

Elle m’a reviré de bord comme jamais je me suis fais reviré de bord dans ma vie...

Ben prend pas ça comme ça... Il va y en avoir d’autres, c’est certain!

Ouais, mais elle, elle était ben spéciale. J’suis pas certain...

Elle devait ben avoir des défauts, quelque chose qui allait pas pour que ça finisse aussi vite?

Ben, c’est vrai qu’elle fumait la cigarette pis elle prenait de la drogue. Pis en plus, elle allait au McDo une fois de temps en temps... C’est vrai qu’elle était pas parfaite...

Bon tu vois...

Eh, faudrait ben refaire quelque chose bientôt?

Qu’est-ce que tu dirais de la semaine prochaine, j’organise...

Ah ben je suis vraiment occupé, mais je te rappelle bientôt! Bye Mélissa!


Elle n’avait pas eu le temps de finir sa phrase qu’elle entendait déjà le vide de la ligne téléphonique. Éric était déjà installé devant son ordinateur et naviguait parmi ses nombreux amis facebookiens qui étendaient leurs péripéties quotidiennes. Récemment, il entretenait une conversation avec une jeune campivalentienne qui sortait tout juste du cégep et qui venait de s’établir récemment à Montréal. Il l’avait rencontré le même soir que Julie, mais elle lui semblait nettement moins intéressante. De quelques années sa cadette, Émilie n’avait pas beaucoup fait de chemin dans la vie. Elle n’était jamais sortie avec un garçon et les grandes rues de Montréal lui procuraient une angoisse qui lui tordait les boyaux. Éric se dit qu’il pouvait bien se servir d’Émilie pour mettre un peu de baume sur ses espérances. Il se dépêcha à inviter la jeune fille à prendre un verre, car la soirée filait déjà entre ses doigts. Elle accepta et après lui avoir demandé quelques indications routières, ils se rencontrèrent au coin de Joliette et d’Ontario.

J’ai un foulard carotté rouge, Émilie, tu ne pourras pas te tromper!

Ah oui?

Oui, oui! J’ai vraiment un foulard carotté rouge.

La rencontre fut de courte durée. Émilie devait se lever tôt le lendemain et elle n’aimait pas vraiment la bière.

Oh, moi non plus, ce n’est pas mon fort, la bière. Après une, la tête me tourne...


Les quelques minutes passées ensemble se résumèrent à des échanges de petits sourires discrets et des paroles sans grande conviction. En la quittant, Éric se dit qu’il pourrait bien la revoir, elle ne semblait pas être du genre à lui faire le coup du plaisir avant tout. Après quelques détours dans les rues d’Hochelaga, il lui proposa de remettre à plus tard leurs discussions sans grande profondeur. Il s’assura qu’elle savait comment retourner chez elle avant de l’abandonner au coin de la rue Saint-Germain.

La soirée s’était quand même terminée sur une bonne note, mais il ne souhaitait pas retourner directement dans son appartement de plâtre. Il voulait faire un détour par le 2204 et regarder discrètement à la fenêtre pour voir s’il se passait encore quelque chose d’intrigant. Mais rien ne laissait présager que Julie poursuivait sa petite fête. En descendant la rue vers le sud, il l’a vit à moitié endormie dans une flaque de vomi derrière un container. Aucune trace de sa petite amie. Éric se disait qu’au fond, elle n’avait que ce qu’elle méritait. Il entra chez lui la tête reposée et l’âme un peu plus tranquille. Il s’endormit rapidement en pensant brièvement à Émilie.

Plus loin, au coin de St-Michel et Rosemont, une Honda Civic commettait un délit de fuite. Un cadavre d’une jeune fille reposait sur l’intersection déserte. Émilie rendit son dernier souffle à 11h16.

samedi 5 janvier 2013

Hot-dog

La moutarde et le ketchup lui coulaient sur le bord de la bouche. C’était peut-être une larme de misère et une fuite d’espérance, mais c’était surtout une échappée de cantine de la rue Ontario. La coulisse rouge et jaune descendait jusqu’au bout de son menton jusqu’à temps que Ti-Nouère décide de la ramasser du bout de ses gros doigts déformés par la corne et usés par la graisse des moteurs qu’il démanchait et remmanchait pour de l’argent.

C’était son troisième. Après une journée à s’être traîné d’un bord pis de l’autre et à prendre des cafés à l’eau noire, il s’était installé sur une banquette orange de La Belle Province vers quatre heures pour s’en enfourner une couple avant que la gang se décide à débarquer. C’était son p’tit plaisir depuis que Claudette était morte l’hiver passé après s’être étouffée avec son Doigt de Dame quotidien. C’est à ce moment-là que Ti-Nouère a compris que les gâteaux Vachon, c’était pas juste du bonheur pas cher en bouche parce que ça avait tué sa femme et que ça l’avait privé de son baloney dans la poêle et de son steak du dimanche. Ti-Nouère avait jamais touché à un four de sa vie, c’était pas à son âge qu’il allait commencer.

La Belle Province lui faisait donc office de salle à manger depuis quelques mois. Rapidement, il était devenu un habitué de la place. Il s’installait toujours à la même table (celle dans le coin est sur le bord de la fenêtre pour regarder dehors quand les conversations sont plates), il mangeait toujours la même affaire et il avait souvent la même affaire à conter. Un moteur qui voulait pas se faire arranger, un mal de dos qui voulait pas partir, un voisin qui l’empêchait de s’endormir tout de suite après les nouvelles du soir ou un jeune crisse qui lui avait encore quêté de l’argent.

Osti. Qui travaille comme tout le monde! À son âge, j’avais déjà payé un set de cuisine flambant neuf à ma femme en me servant même pas du crédit!

Ti-Nouère était une surprise pour personne. Ses chums de La Belle Province l’aimait comme ça parce qu’ils savaient à quoi s’en tenir avec lui. À quatre heures trente-trois, Jacques, Ben et l’gros Paulo passaient le seuil de la cantine après avoir passé la journée à se promener dans les camions de la Ville. Ti-Nouère finissait d’avaler son quatrième qu’il faisait descendre avec sa dernière gorgée de Pepsi flat.

Tu vas ben prendre un p’tit café avec nous autres avant de partir? lançait toujours Jacques qui devait bien en avoir avalé au moins une demie douzaine auparavant.

 

C’était pas mal toujours la même histoire. Ben allait chercher le Journal de Montréal et il le feuilletait distraitement pendant que l’gros Paulo passait leur commande au comptoir et que Jacques se lançait dans une autre de ses théories qui tenait pas de bout.

Tsé, je pensais à ça tantôt en roulant sur Sainte-Catherine. Je me disais que si le B.S. était pas le premier du mois, y’aurait moins de file d’attente à la Caisse pis Chez Françoise. J’comprends pas comment ça le gouvernement a pas pensé à ça avant. C’est juste une gang de bozos. J’pourrais faire leur job les yeux fermés. Pas sûr par exemple qu’ils pourraient faire la mienne.
 

Pas ben dur à faire ta job, Jacques, à moins que tu fasses de l’insomnie. Tu prends-tu ton cheese all dressed? lui lança Linda du haut de son toupet, de ses leggings et de ses vingt-six ans.

Comme d’habitude ma Linda. Pis un café nouère avec une orangeade, lui dit-il en lui fixant ce qui ressortait de son chandail moulant acheté en solde chez Bellissimo.

On change pas les vielles habitudes, hein mon Jacques? Johnny, fais-moi un cheese all dressed extra bacon bien cuit, pas d’oignon pis ben du ketchup, cria-t-elle en retournant vers la machine à Pepsi.


Jacques était un gars d’la Ville depuis une dizaine d’années. C’était l’gros Paulo qui l’avait fait rentrer après qu’une couple de gars s’étaient fait montrer la porte parce qu’ils préféraient dormir dans les parkings abandonnés au lieu de s’occuper de l’asphalte, des poubelles et des autres problèmes. Mais après avoir travaillé deux ou trois mois, Jacques avait pris l’habitude des anciens et il n’apportait pas beaucoup de changement à l’équipe d’avant. Les boss s’étaient tannés puis ils avaient décidés de laisser faire jusqu’au prochain front page dans le Journal. L’gros Paulo était devenu assez vite un de ses bons chums et il l’avait présenté à Ben et Ti-Nouère pendant un sempiternel repas à La Belle Province.

Moé, j’trouve que ça fait ben du sens ce que tu dis Jacques. Tsé, les B.S., y causeraient ben moins de problèmes si on les avait pas dans les pattes le premier. Comme ça on serait pas obliger de prévoir d’avance. On aurait pas à se ramasser dans une file qui finit pas pis on serait pas obligé de boère d’la Coors tablette dans le salon de Ben.

Ben oui mon Ti-Nouère, c’est ça que je voulais dire. Osti. On est des honnêtes travailleurs nous autres, on devrait pas subir de conséquences de même. Moé, j’aime ma bière dans un bock frette Chez Françoise pis ma Caisse pas de file d’attente. Aye, mon Ben, tu jases pas fort. Y’annonce-tu la fin du monde dans le Journal à soère?

Non, j’attends que l’gros Paulo revienne avec ma commande. Y’a pas grand chose d’intéressant à date à part l’histoire de la p’tite fille qui est tombée sur la tête en cherchant son poodle proche de la chute Montmorency pis l’histoire du p’tit gars qui est disparu depuis Noël. Ça d’l’air qu’y’aurait été vu proche du centre d’achats de Thetford Mines.

Ah ouin? lâcha Ti-Nouère. Y montre-tu une photo de la p’tite fille?

Non... pis c’est ben plate. Je me demandais quand même ça avait l’air de quoi une p’tite fille qui est tombée sur la tête en bas d’une chute de même.


Ben continuait à tourner les pages sans trop s’arrêter aux petits caractères qui dansaient de gauche à droite. Une rapide vue sur les photos et les gros titres lui demandait déjà pas mal de concentration. Et son ventre gargouillait.
 

L’gros Paulo vint s’assoir à une table adjacente à celle de Ti-Nouère avec un cabaret rempli de frites, de pogos et d’une poutine format familial extra mayo. Linda revenait aussi avec le cheese bacon de Jacques. Elle le déposa sur son napperon et malgré qu’il était enveloppé dans un papier ciré, le cheese laissa plusieurs tâches sur le napperon Bienvenue-Welcome qui ornait la plupart des tables de la cantine. Toute la gang était attablée, le beau grand rien de la soirée pouvait commencer.

Ouin, j’ai pas trop compris ton affaire de B.S., Jacques, dit l’gros Paulo entre deux frites. En tout cas, toute la famille de mon ex-femme, c’était ça, des B.S. J’étais pas mal tanné de leur donner mes payes. Je pouvais même pas aller aux danseuses une fois de temps en temps. J’avais pas une crisse de cenne dans mes poches.

Parce que t’en as plus maintenant, des cennes dans le font tes poches? repris Ti-Nouère. T’es toujours entrain de te plaindre que t’as pas d’argent pour gazer ton char ou pour le linge de tes flots. Je pense pas que t’es mieux emmanché. Au moins, avant, t’avais ta femme.

Disons qu’elle avait pu ben ben le body de Linda, mon ex-femme. Pis était jamais contente. Elle avait mal partout, elle voulait pu sortir pis me faire à souper. Elle avait juste ça à faire! Déposer son B.S., prendre ma paye pis regarder ses programmes à la tivi. Était vraiment pas à plaindre. Moi, j’en connais une couple qui paierait cher pour ça, dit-il en lançant un clin d’oeil à Linda qui apportait des onions rings à un jeune couple qui s’était assis en retrait des vieux habitués.

Vous êtes corrects les boys? cria-t-elle en replaçant son toupet qui s’affaissait un peu à cause de l’air lourd de graisse de bacon et de patates frites.

Tout est ben ben parfait ma Linda, lui renvoya Jacques en roulant l’emballage de son cheese dans ses grosses mains fatiguées. J’te prendrais un refill de café quand tu repasseras par icitte.


Linda lâcha son toupet et se scruta rapidement dans le reflet des côtés en stainless steal de la machine à Pepsi. Elle se brûla au passage sur le réchaud de la cafetière, mais elle n’arrêta pas son service pour autant. Elle fit un petit sourire à Johnny qui flippait des boulettes en continu et retourna voir Jacques pour remplir sa tasse. Malgré leurs propos qui frôlaient quelques fois l’indécence, elle tolérait la gang et les considérait comme ses mononcles. Ils tippaient bien et c’était pas son chum qui allait chialer. Au moins, elle allait pas finir comme sa mère qui, après avoir dansé dans des clubs pas pires à Montréal, avait finit sa carrière des les clubs bas de gamme du Nord où une pipe valait autant qu’un trio numéro quatre à La Belle Province. Elle était morte l’année d’avant d’un cancer du poumon bien mérité après les milliers de cigarettes qu’elle s’était envoyé depuis la fois qu’elle avait voulût essayé ça dans la cour de son école primaire. Linda savait pas grand chose, mais elle savait parfaitement qu’elle ne voulait pas finir comme ça. Elle avait accepté d’être serveuse en attendant de se ramasser un peu d’argent pour pouvoir se payer un diplôme en coiffure. Pis y’avait pas une huile de graisse à patate frite assez forte pour la faire changer d’idée.
 

Ti-Nouère regardait le bout de ses doigts en écoutant vaguement ses amis s'obstiner sur la dernière annonce de Mc Do. À savoir si ça parlait d’un nouveau Mc Poulet ou Mc Poisson, il s’en contrefichait. Il était vendu à La Belle Province jusqu’à la fin de sa vie. Mais des fois, il se demandait quand même ce qu’il allait faire de ses vieux jours. Il pouvait pas gosser ses moteurs éternellement et il ne savait pas trop ce qu’il ferait lorsque sa rente serait déposée à tous les mois dans son compte à la Caisse.

Ouais, mais en tout cas, je peux vous assurer que c’était Céline qui faisait la toune. Ma plus vieille arrête pas de la chanter, pis Céline, c’est sa préférée, grogna Ben qui n’avait pas réussit à prouver son point avec les hamburgers du Mc Do. Tsé, dans le fond, Mc Poulet ou Mc Poisson, on s’en fou. On va aller l’essayer dimanche prochain leur nouvelle bébelle.

Ben à mes yeux à moé, y’a rien qui bat le bon vieux Big Mac. Les cheeses de Johnny sont ben bons, mais ils ont pas la tite sauce comme dans les Big Mac. Ça manque, j’trouve, répliqua Jacques.

Les gars, les gars, j’peux-tu vous poser une question? Je pensais à ça tantôt, pis je me rends compte que je pense à ça de plus en plus souvent quand je marche jusqu’icitte ou quand je gosse mes moteurs. Vous allez faire quoi quand vous allez avoir votre rente pis votre pension? Allez-vous rejoindre Georges en Floride ou Buck à son campe dans le Nord ou vous allez continuer votre routine pis prendre votre café icitte?


Ben et Jacques s’échangèrent un regard remplit d’interrogations. Ils regardèrent la télévision qui jouait en silence dans un coin du restaurant pour trouver l’ombre d’un sujet de conversation. L’gros Paulo jouait avec une frite froide et s’amusait à faire des dessins avec les marques qu’elle laissait sur le napperon. Il avait même pas compris la question de Ti-Nouère. Linda comptait sa caisse, c’était sa manie, sa compulsion quand il n’y avait pas de client. Ils avaient pas compris que c’était peut-être la question la plus philosophique et la plus existentielle à laquelle ils allaient être confrontés dans leur vie. Ben recommença à tourner les pages du Journal de Montréal frénétiquement. Jacques soupira et préparait sa réponse, mais Ben avait trouvé un fait divers encore plus intéressant que toutes les questions du monde.

Hey, y’a un gars de Toronto qui a réussi à arrêter un gars qui essayer de le hold-uper son dépanneur. Il a réussi à le ligoter et à le mettre dans sa van après l’avoir assommé avec un batte de baseball. Tiens, s’en est un qui a des couilles, ça. Nous autres, au Québec, on a toujours peur de faire mal à une mouche. On reste assis, pis on regarde la charrue passer. On est ben bon pour ça.

T’as ben raison mon Ben, répliqua Jacques. On est vraiment une belle gang d’innocents des fois. Ça donne pu grand chose de penser au pays pis toute. On est passé à côté, hein Paulo?

Ouais, c’est pas mal vrai qu’on est à côté de la track. C’est comme mon frère qui sait jamais combien ça prend pour faire vivre sa famille. Y’est ben gros à côté de la track à force de faire des tracks grosses comme des autoroutes. Ouin, ben avec tout ça, je prendrais ben un bon hamburger pour faire descendre le reste. Linda, t’es où ma belle crotte de fromage?


Ti-Nouère avait manqué son coup. Peut-être que la question avait été posée au mauvais moment, peut-être qu’elle était pas assez claire ou peut-être qu’il avait perdu le tour de captiver ses amis. Mais à tout le moins, la réaction escomptée n’était pas arrivée. Devait-il lancer une autre perche, changer la formulation ou rester seul dans son questionnement? Il observait ses vieux chums qui se souciaient de pas grand chose tant que la santé leur permettait de travailler et que La Belle Province était ouverte à tous les jours de l’année.

Mon beau Paulo, tu le veux comment ton hamburger? lança Linda en roulant ses hanches sur le bord de la table.

Oh, comme ça te tente Linda, je suis pas ben ben difficile moé...

Paulo, c’est pas moé qui va le manger ton hamburger, pis c’est même pas moé qui va le faire.. Dis-moi donc ce que tu veux.

Ok, ben all dressed, comme d’habitude, ma Linda.

Pis les autres, vous prenez-tu kekchose de plus? Pis Ben, tu devrais arrêter de regarder le Journal, ça va te faire mal aux yeux de le regarder trop proche de même.


Ti-Nouère était encore dans sa tête. Ses chums ne lui inspirait pas grand chose de plus. Il lâcha un petit sourire à Linda avant de se tourner vers Johnny qui était entrain de mettre une nouvelle batch de frites dans l’huile. Depuis la mort de sa femme, Ti-Nouère voyait les questions défilées dans sa tête. Il lui arrivait souvent d’être distrait, de regarder dans le vide et de faire le lunatique comme lui reprochait souvent sa mère quand il était enfant. Il ne savait pas ce qu’il adviendrait de lui lorsqu’il n’y aurait plus de moteur à remmancher ou lorsque ses doigts refuserait de suivre. Ça l’inquiétait de voir que ses chums ne réagissaient pas trop. « Peut-être ben que je devrais arrêter de m’en faire avec tout ça » se dit-il en silence. Après avoir quittés Johnny, ses yeux s’étaient fixés sur les grosses photos qui ornaient le menu lumineux en haut de la cuisine. La sauce brune qui dégoulinait de la poutine géante ne lui inspirait rien qui vaille, tout comme la viande du pita gyros qui ressemblait à de la viande pour chien coupé en fines tranches. Par contre, l’image du hot-dog géant lui laissait toujours une douce impression de bien-être autour des pupilles. L’image était la même que celle de Chez Gus Patate où son père l’amenait les jeudis soirs pendant que sa mère était au bingo et que ses frères plus vieux jouaient une game de hockey-bottine dans la ruelle avec les voisins Tanguay. Les hot-dogs de La Belle Province goutaient pareils, c’était bien pour ça qu’il avait adopter la place comme une seconde demeure.

M’a t’en prendre un autre, Linda. Moutarde avec un peu de ketchup.

Ben oui mon Ti-Nouère, on change pas les vieilles habitudes.

vendredi 3 septembre 2010

Sentiment micro-onde

Bang, bang, pow, tow, t’es mort
Tellement que ça sent le brûlé
Au calorifère de ta chaleur interstellaire.

T’es mon étoile filante carbonisée
Sur mon cœur de pop-corn
Bouillant le beurre transgénique.

Ça me fait du bonbon en bouche
Une éclatante fraîcheur
D’un Big-Bang cosmopolite
Entre mes yeux et les tiens.

Une impression de domination
De déesse Vénus en plein dans ta mire
De feu de forêt.
Du miel décapant
Sous ma peau de noisette
Qui a peur de l’hiver.

Une sensation inexplicable
D’un bouillon de mille carburants
Colorant le trou noir pudique
Qui fait le train-train quotidien
De ma run de lait.

Demain matin je me sentirais remplie de toi
Mais en attendant
Je m’étends sur ta plage cosmique
Aux éclairs d’automne et d’apocalypse.

mardi 31 août 2010

Roteux Town

Roteux Town
Ça se passe en dessous de chez nous
À côté pis en arrière
C'est des familles décomposées
Comme un verbe dans leur bouches
C'est des deals en plein jour
Des enfants dépareillés un peu partout
Des rires jaunes de cigarettes
Des économie de gratte poche pour une p'tite loto
Un rêve américain trempé dans la Carling
Pour une odeur de baloney dans le beurre
Dans les cheveux de Rita qui crie sur sa galerie
Que son vieux est partit vider la paie aux tetons
Parce que les siens pendent trop
Et qu'elle se les attachent dans le cou

Roteux Town
C'est toujours une drôle de cérémonie
Une fête nationale à chaque premier du mois
Le Bonheur Social récurant
Des confettis d'odeur poti-potante
Les clinquants 6-packs qui claquent
Contre l'ego d'à côté qui tombe
Par terre
À la sortie du Davidson, 3h A.M.
On se bat Patriotiquement
Pour la bonne femme aux bas collants
Qui cache le mieux son cerveau
Sous une tonne de Spray Net
Reluisant de vérité qui tombe
Par terre
Et les images s'entremêlent dans un raclement
Au malt qui s'accroche aux luettes
Pour former les cauchemars vivants
D'un quartier réclusé
Emmerdé dans sa chiasse
D'une Roteuse ignominie
Dans un Town sculpté
Aux boules à mites pis aux peanuts

dimanche 29 août 2010

Composition

Pow-Bang, rentre dedans
D'un coup de verge enflammée
Défoncer l'ouverture
Laisser couler l'explosion
Entendre chanter la pomme
La passion l'envahira
Sous un coulis de pêche-myrtille
Et lui dessinera une robe
De jouisseuse compulsive
Contemplant la vie
D'un oeil de cyclope myope
Infiltrant le labyrinthe
Cerveau-neurone-axiome
De l'imaginaire féerique
D'une petite fille en robe de soie
Ne comprenant plus
La logique des émotions
Le défoulement d'une licorne
La rébellion d'une cellule
L'explosion des notions
Des ponts de la raison
À n'y rien entendre
Mêlant l'oubli et le concret
Dans une chaîne d'argent-laiton
Au poignet de la fille-mère